Philosophie

le réseau de la biologie du développement à Sorbonne Université

Les philosophes dans le réseau André Picard

La philosophie des sciences et les sciences vivent en symbiose permanente, sans en être toujours bien conscientes

La philosophie des sciences a la science pour objet : elle cherche notamment à rendre compte de son fonctionnement, de son évolution, du statut de ses productions, de ses succès théoriques et pratiques, des raisons que nous avons de lui faire confiance, des rapports qu’elle entretient avec le sens commun ou avec d’autres sources de connaissance. Il va donc sans dire que sans science il n’y aurait pas de philosophie des sciences.

L’inverse est moins évident. En effet, dans leurs opérations quotidiennes, en temps normal, non seulement les sciences sont, par définition, détentrices des compétences spécialisées nécessaires, mais elles se sentent également en mesure de régler en leur sein les questions conceptuelles plus générales qui peuvent se poser en amont ou en marge de la réalisation de leurs programmes de recherche. Les philosophes des sciences, de leur côté, instruits par quelques malentendus passés, se gardent bien de se poser en inspecteurs ou juges du travail scientifique, et se savent généralement hors d’état de contribuer directement à ce travail. C’est pourquoi ils se placent souvent en position d’observateurs du passé, ce qui les rapproche de l’histoire des sciences, laquelle est au contraire très bien vue des scientifiques.

Mais les rapports entre philosophes et scientifiques sont parfois beaucoup plus étroits et symétriques. Deux facteurs favorisent la coopération entre philosophie et science : (1) La science se trouve parfois dans une situation d’incertitude : elle hésite sur la formulation des problèmes, sur le bien-fondé de son cadre, sur les ressources à mobiliser pour progresser ou pour surmonter une crise. (2) Certains phénomènes ne semblent pouvoir être attaqués/abordés qu’en faisant converger différentes disciplines. La philosophie a des chances d’être utile, et de trouver son miel, dans des situations frontalières : à la limite des méthodes des différentes disciplines, à l’intersection de plusieurs spécialités. Elle est bien placée pour détecter certaines confusions, proposer un vocabulaire approprié, surmonter des blocages entre scientifiques de traditions différentes, poser des questions nouvelles ou reformuler des questions existantes de manière révélatrice.

C’est précisément ce genre de situation que rencontrent les philosophes impliqués dans le Réseau André Picard. La biologie du développement est une spécialité-carrefour qui fait appel à des disciplines-sources très variées, allant de l’embryologie dont elle est largement issue à la théorie de l’évolution, à la génétique et plus récemment la métagénomique, à l’écologie marine, aux mathématiques de la forme, voire à la psychologie du développement, et fait appel à des méthodologies extraordinairement complexes qui ne sont maîtrisées que par peu de participants. Par-delà les études précises qui sont menées sous son chef, la biologie du développement s’interroge sur ses fondements, sur ses concepts-clés, sur ses rapports avec les autres branches des sciences de la vie, sur ses perspectives à long terme : que sont ses questions-clés ?

Selon le cas, le philosophe intervient pour apporter des clarifications, mettre en perspective, évoquer des développements passés ou relevant d’autres spécialités, ou encore proposer des concepts nouveaux ou suggérer des éléments de solution de problèmes ouverts. Il peut parfois se risquer à critiquer certaines hypothèses, méthodes ou résultats, généralement dans le contexte d’une controverse ; mais il se garde de prendre une position de surplomb, et de revendiquer un accès différent ou supérieur à une connaissance qui échapperait par principe aux scientifiques.

Les sciences ne sont pas les seules bénéficiaires de l’interaction avec la philosophie : en travaillant au coude à coude avec les scientifiques, sur des problèmes réels et dans le contexte de la recherche, la philosophie, qui cherche à comprendre ce qu’est la science en général, complète et corrige les conceptions dont elle a hérité, qui sont en bonne partie fondées sur des disciplines mûres, reconstruites selon l’ordre pédagogique. Les sciences sont à leur manière des entités organiques qui se développent et présentent des formes qui diffèrent autant de la physique fondamentale, autrefois modèle de référence, que les méduses, les lichens ou les éponges diffèrent de la souris.

Daniel Andler & Thomas Pradeu, Octobre 2015.

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